
Le 18 novembre 2019, à la Bibliothèque H. Ey de Sainte-Anne, invité pour présenter son ouvrage : Nouvelles remarques sur le passage à l’acte, Epel 2019. Il est ici en présence de Nicolas Dissez.
Jean Allouch était né à Montpellier le 6 avril 1939. Il est décédé le 16 septembre 2023. Psychanalyste rigoureux, orateur pointu et érudit, Jean Allouch se faisait le passeur de l’œuvre de Lacan avec une inépuisable intelligence. Il y avait forgé un style qui donnait à son commentaire une portée et une vision à nulles autres pareilles. Il savait en particulier suivre la parole de Lacan dans l’énonciation de ses séminaires, dans ses reprises et ses détours, pour mieux souligner le souffle de sa recherche.
Formé à la philosophie et à la psychologie, il suit dès 1962 l’enseignement de Jacques Lacan qui fut son « analyste désigné ». Ce fut la rencontre d’une vie. Il entreprit de le suivre « à la trace », c’est-à-dire, qu’il le désigna comme un guide, mais un guide dont les indications sont inlassablement à déchiffrer et à interroger. Il reçut la proposition du 9 octobre 1967 [1] comme une invitation à se présenter à la passe et fut un des premiers AE (analyste de l’Ecole) à être nommé. Après la dissolution de l’Ecole Freudienne de Paris, il refuse de prendre le parti épiclère de l’ECF et participe avec quelques autres (Philippe Julien, Guy Le Gaufey, Erik Porke, Mayette Viltard) à la fondation de la revue Littoral puis de l’Ecole lacanienne de psychanalyse. Avec celle-ci, il participa notamment à une profonde réflexion autour de la transmission de l’enseignement de Lacan [2], à rendre consultables de très nombreuses interventions de Lacan, inaccessibles autrement, grâce au site pas-tout-lacan [3], enfin à diffuser le style et la malice de Lacan dans un ouvrage best-seller, les célèbres Impromptus de Lacan [4]
Son œuvre personnelle compte une trentaine d’ouvrages, plusieurs centaines d’articles et d’interventions. Ses apports sont innombrables et beaucoup de ses travaux sont devenus des classiques. Citons sa relecture précise et rigoureuse du cas Aimé [5], sa critique de Freud autour de sa conception de mélancolie [6], sa patiente interprétation de la notion d’Amour chez Lacan [7]. La fonction secrétaire, le littoral, la passage à l’acte, sont quelques-uns des termes qu’il mis en exergue pour renouveler les assises de l’exercice de la psychanalyse.
Il refusa toujours de détourner la psychanalyse de sa véritable orientation, et il a régulièrement dénoncé les travestissements qu’elle subit quand on cherche à la considérer comme un système pensée ou qu’on veut l’acclimater à la médecine, à l’anthropologie ou à l’université. Il n’enferma pas pour autant la psychanalyse dans une tour d’ivoire. A travers sa collection de Les grands classiques de l’érotologie moderne (Epel), il sut très tôt, laisser la psychanalyse se faire interroger et bousculer par les gays et lesbians studies mais aussi les auteur(e)s féministes, les historiens (Foucault), et les artistes (Duras, Artaud). « La psychanalyse sera foucaldienne ou ne sera plus » [8] insistait-il pour réhabiliter la psychanalyse comme pratique spirituelle. Il ajoutait : « un psychanalyste ne peut être qu’un paria ». Le psychanalyste ne peut que refuser le pouvoir et la reconnaissance sociale, sans quoi, il ne sera jamais légitime pour accueillir ce qu’il y a de plus marginal et de plus refusé chez le sujet : son inconscient.
Jean Allouch ne ménageait pas ses efforts pour partager son engagement et la passion de sa vie. Il était un ami de Georges Lantéri-Laura, dans le service duquel il conduit une présentation de malades de février 1993 à juin 1999 [9]. Il nous avait fait l’amitié de participer à plusieurs colloques et soirées organisées par l’Evolution psychiatrique (le 2e Colloque Lantéri-Laura : L’antichambre de la folie, en février 2016 ; La soirée du 18 novembre 2019, consacrée au passage à l’acte [10]). Il avait donné à notre revue un article qui donnait des éléments décisifs pour saisir la spécificité de la pratique avec la folie [11]. Nous adressons nos plus sincères condoléances à ses proches. Nous savons que ses ouvrages et ses interventions nous accompagneront longtemps.
[1] Lacan, J. Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste à l’Ecole », Scilicet n°1. Paris / Le Seuil : 1968, pp. 14-30.
[2] e.l.p. Le transfert dans tous ses errata, suivi de Pour une transcription critique des séminaires de Jacques Lacan. Paris : E.P.E.L. 1991.
[3 ] https://ecole-lacanienne.net/bibliolacan/pas-tout-lacan/
[4] 543 impromptus de Jacques Lacan. Paris : Fayard : 2009.
[5] Allouch, J. Marguerite, ou l’Aimée de Lacan (postface de Didier Anzieu, 2e éd. Paris : E.P.E.L. : 1994.
[6] Allouch, J. Erotique du deuil au temps de la mort sèche. 2e édition. Paris : E.P.E.L. : 1995.
[7] Allouch, J. L’Amour Lacan. Paris : E.P.E.L. : 2009.
[8] Allouch, J. La psychanalyse, une érotologie de passage. Paris, E.P.E.L. 1998.
[9] Allouch, J. Hommage à Georges Lanteri-Laura. Paris, Centre hospitalier Sainte Anne, journée d’hommage à G. Lantéri-Laura du 20 novembre 2004 / https://www.oedipe.org/actualites/lanterilaura
[10] Violences, radicalisation et passages à l’acte – Jean Allouch, Giorgia Tiscini et Nicolas Dissez. https://www.youtube.com/watch?v=3eFOhcJHnVE
[11] Allouch, J. Folie, première et seconde mort. L’Évolution psychiatrique, vol 81, n° 1, janvier-mars 2016.
Clément Fromentin
