Pierre Chenivesse, in memoriam

Au moment d’apprendre le décès de Pierre, au bord de mer, au Portugal, mon pan de trajet professionnel en France, de plus de trois décennies, a inévitablement fait surface.

Nous nous sommes connus dans les rencontres organisées par la Société de L’Évolution Psychiatrique que j’avais intégré comme correspondant, à la suite du parrainage de Jean Ayme e Jean Garrabé, membres titulaires.

Ainsi, au fil des ans, nous nous sommes côtoyés dans les différentes rencontres scientifiques et, progressivement, dans les réunions de travail de la société et de la revue, dont j’ai fait partie comme membre du comité de rédaction. Pierre a toujours eu la lourde tâche de trésorier qu’il assumait avec tout son calme et la précision qu’on lui demandait.

Quand on se rappelle d’un ami disparu, des millions de petites choses, des souvenirs, nous viennent à l’esprit. Certains événements plus institutionnels se mélangent avec des apparentes banalités qui font, souvent, les richesses des rencontres et de l’amitié.

Pierre a toujours manifesté un grand appétit intellectuel et une ouverture d’esprit à les plus variées sollicitations culturelles du monde. Son besoin de connaissances et ses différentes recherches, dans les bibliothèques et dans les bouquinistes, lui ont permis de m’offrir le nº3, mai 1951, de la revue « Anais portugueses de psiquiatria », publiée à Lisbonne, où était rapporté le Ier Congrès Mondial de Psychiatrie de 1950, à Paris, par António Flores. Et, non content de cette offerte, il m’a donné aussi le nº4, décembre 1952, de la même revue, où le texte de Georges Daumézon et Philippe Koechlin, « La psychothérapie institutionnelle française contemporaine », a pu paraître. Un texte fondateur qui n’avait pas trouvé d’éditeur dans la France démocratique, mais dans le Portugal fasciste, par la volonté de Barahona Fernandes… Je ne sais pas où il les a trouvées.

Nous relations se sont approfondies, quand le nouvel éditeur de la revue s’est proposé de relancer le prix annuel de la Société de L’Evopsy, en 2008. Nous nous sommes réunis, ainsi, régulièrement, trois ou quatre fois par an à La Rotonde. Les échanges ont pu s’approfondir autour du plaisir de la table…

Au-delà des missions de notre discipline et de nos engagements mutuels pour bien évaluer nos différentes propositions, nous avons pu voyager, dans ses rencontres, en littérature et en politique, avec les connaissances historiques de Jean Garrabé et les passions shakespeariennes de Yves Thoret.

Dans le cadre des bonnes relations avec L’Infopsy, un symposium a pu naître dans le programme de ses journées annuelles. Je me souviens de Nancy, en 2010, en particulier, où j’ai présenté Robert Walser, un promeneur solitaire, dans un temps insuffisant pour développer son interrogation humaine. Mais nous avons pu prolonger notre dialogue autour de cet auteur unique.

Et c’est ainsi qu’un million de choses d’allure simple de la vie quotidienne, les échanges scientifiques et l’inquiétude permanente apportée par une insatiable curiosité nous enveloppaient. Et, comme disait Michel Serres, quand la philosophie, la psychologie ou la psychiatrie n’arrivent pas à faire passer un message, la littérature y arrive autrement.

Dans ces quelques mots arrachés à une certaine tristesse, je ne pouvais pas exprimer toute une fréquentation de plus de trois décennies. Je ne pourrais jamais oublier Pierre, sa personnalité diplomatique et la qualité de notre relation. Mais, j’ajoute cette phase de Fernando Pessoa : « quand j’écris, je me rends visite solennellement ».

Cascais, mars de 2025

Carlos De Brito

Psychiatre honoraire des hôpitaux