Cher Pierre,

Par Aurore Cartier

Notre destin professionnel s’est croisé, et nous l’avons partagé à deux reprises. Durant plus de 30 ans à l’Institut Marcel Rivière, vous étiez à l’époque psychiatre sur le secteur, avec Eric Marcel, j’assurais de mon côté la charge de la bibliothèque médicale. Étant dans le saint sacre des livres que vous affectionniez tant, il était une évidence que nous nous croisions.

Les livres, les ouvrages anciens, leur rareté, le contexte de leur parution, vous en connaissiez un rayon sur le sujet, ainsi que Jean Garrabé, et vous n’hésitiez-pas, avec cette lumière au fond des yeux en parcourant le fonds ancien, à partager vos connaissances. Chaque livre, chaque édition avait une histoire, ou un prix, en votre qualité de bibliophile averti. Vous m’avez donc beaucoup appris !

Vous étiez aussi très taquin et malicieux, et combien de fois vous êtes- vous réjouis d’avoir déstabilisé votre interlocuteur, par des provocations ou des blagues. Et pas n’importe quelles blagues : celles des carabins ! Avec votre compagnon Eric Marcel (je vous appelais les Dupont et Dupont), entre deux transmissions ou compte rendu, au secrétariat du secteur, nous avions droit à vos blagues, avec votre sourire béat et satisfait, devant l’indignation (feinte) du public féminin.

Réfractaire aux nouvelles technologies, vous l’étiez ! Vous l’annonciez d’ailleurs clairement et déléguiez volontiers toutes ces manipulations sorcières aux autres. Je vous soupçonne d’avoir secrètement nourri l’envie d’un retour au Moyen-Age, du temps des missives apportées en mains propres, par des messagers sur leurs fringants destriers ! En effet, il m’est souvenir d’une fois, alors que nous discutions d’une information que vous étiez supposé avoir reçue, et que mécontent, vous m’annonciez ne pas avoir été destinataire. Mon surmoi n’avait fait qu’un tour : comment était-ce possible ? Après moultes hypothèses sur les possibles raisons de ce dysfonctionnement, j’apprenais de vous, tranquille, avec une moue légèrement méprisante vis-à-vis de l’utilisation de ce nouvel outil postal….que vous n’aviez pas ouvert votre boite mail depuis plusieurs jours !! Et là encore, vous vous amusiez de mon incompréhension et de mon indignation !

Le hasard a fait que nous avons, un temps, fréquenté le même lieu de villégiature, et nous nous sommes retrouvés plusieurs années sous les palmiers, à la plage. Pendant que nos courageux et sportifs conjoints s’adonnaient aux joies de la nage en pleine mer, nous étions tous les deux à l’ombre, sous la payote, en train de siroter nos boissons et de converser de tout et de rien. C’est là que vous m’avez confié avoir passé de longues années de votre enfance à l’hôpital. L’hôpital, vous le connaissiez donc bien… et de l’intérieur, de la place du patient.

Un trait que j’admirais chez vous c’est votre mesure, votre tolérance vis-à-vis des autres. Quel que soit le contexte, vous étiez très mesuré dans vos propos, trouviez toujours la balance paisible, pas de médisance ni de jugement hatif. Et vous acceptiez tranquillement la confrontation.

Nous nous sommes ensuite retrouvés à l’Évolution psychiatrique, vous comme trésorier de la société, et responsable de la rubrique A propos de…puis du Prix de l’Évolution psychiatrique. Qui mieux que vous, grand lecteur, pour occuper cette fonction. Lors de nos comités, vous étiez là pour recontextualiser l’histoire de la société, l’histoire de la psychiatrie et…de compter les sous !! (à moi aussi de vous taquiner un peu)

Vous ne serez plus avec nous, dans ce groupe de l’Évolution, si enclin au partage d’idées et dans lequel vous aviez une grande place…Sachez que vous allez nous manquer et que personnellement, je conserve votre présence. J’ai bien évidemment aussi une pensée particulière pour votre âme sœur, Manuella De Luca.

Bien amicalement

Aurore Cartier

Le Comité de rédaction en novembre 2017. De droite à gauche : Corinne Challeton, Manuella de Luca, Aurore Cartier, Jean Garrabé, Pierre Chenivesse, Christophe Chaperot, Clément Fromentin, Renaud de Beaurepaire, Olivier Douville, Thomas Lepoutre